mercredi 5 décembre 2012

Benoit Fleury : Domaine public et commerce

Benoit Fleury : Domaine public et commerce


Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le noter sur le blog du Village de la justice, l’occupation privative du domaine public aiguise de plus en plus les appétits tant les enjeux financiers peuvent être importants. La nature humaine fait le reste et le droit n’est jamais très loin de l’économie comme en témoigne merveilleusement une affaire récemment soumise à l’appréciation du Conseil d’Etat (CE 29 oct. 2012, n° 341173, Cne de Tours).

 1 – Les faits


Une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, l’EURL Josse avait demandé, le 11 mai 2006, au maire de la commune de Tours, l’autorisation de prendre des clichés d’œuvres appartenant aux collections du musée des beaux arts de la commune. Ces photos étaient destinées à être par la suite publiées dans des ouvrages scolaires, des ouvrages d’art ou dans la presse. Le maire a implicitement rejeté cette demande.
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Vexée et ce d’autant plus que des autorisations de photographier des œuvres de ce musée avaient auparavant été délivrées à plusieurs reprises à des photographes professionnels dans le cadre de conventions particulières fixant les conditions de prise de vue et de leur utilisation, l’EURL Josse a saisi le juge administratif d’une requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du refus municipal.

2 – Position des juges du fond


Par un jugement du 20 janvier 2009, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté cette demande. Saisie à son tour, la Cour administrative d’appel de Nantes a en revanche accordé un accueil favorable à ces prétentions (CAA Nantes, 4 mai 2010, n° 09NT00705, EURL Photo Josse : AJDA 2010, p. 1475, chron. S. Degommier ; JCP A 2011, 2239 chron. C. Chamard-Heim). La cour raisonne en trois temps :

  elle rappelle d’abord la domanialité publique des œuvres d’art aux termes de l’article L. 2112-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, « Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique, notamment : […] 8°) les collections des musées ». La prise de vue de ces œuvres est donc constitutive d’une utilisation privative du domaine public soumise à autorisation.
  Dès lors, cette utilisation doit respecter les principes en vigueur et notamment tenir compte de l’impact économique de l’activité exercée sur le domaine public :
« s’il appartient à l’autorité administrative affectataire de dépendances du domaine public de gérer celles-ci tant dans l’intérêt du domaine et de son affectation que dans l’intérêt général, il lui incombe en outre lorsque, conformément à l’affectation de ces dépendances, celles-ci peuvent être le siège d’activités de production, de distribution ou de services, de prendre en considération les diverses règles, telles que le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, dans le cadre desquelles s’exercent ces activités ».

Benoit-Fleury-GUD3  Ainsi, puisqu’il a eu des précédents, la Cour conclue qu’en n’examinant pas la possibilité pour l’EURL Josse d’exercer son activité dans des conditions compatibles avec les nécessités de la gestion du musée et du respect de l’intégrité des œuvres, le maire de la commune a méconnu le principe de la liberté du commerce et de l’industrie.
Rien de très surprenant en somme. Depuis l’arrêt Société EDA de 1999, les personnes publiques doivent en effet être attentives au respect de ce principe de la liberté du commerce et de l’industrie (CE 26 mars 1999, n° 202260, Sté EDA : Rec. Lebon, p. 96, concl. J.-H. Stahl).

3 – Conseil d’Etat


Le Conseil d’Etat cependant complète ce raisonnement par l’apport de sa jurisprudence RATP de 2012 suivant laquelle la décision de délivrer ou non une autorisation d’occupation du domaine public n’est pas susceptible, par elle-même, de porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie  ; étant précisé toutefois que la personne publique ne peut délivrer une telle autorisation lorsqu’elle aurait pour effet de méconnaître le droit de la concurrence, notamment en plaçant automatiquement l’occupant en situation d’abuser d’une position dominante (CE 23 mai 2012, n° 348909, RATP : JurisData n° 2012-010865 ; Contrats et Marchés publ. 2012, comm. 258, note S. Ziani).
La Haute juridiction confirme sa position en précisant au cas d’espèce ce qu’elle entend par l’éventuelle atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie :
benoit-fleury-gud«  la décision de refuser une telle autorisation [d’occupation privative], que l’administration n’est jamais tenue d’accorder, n’est pas susceptible, par elle-même, de porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, dont le respect implique, d’une part, que les personnes publiques n’apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi et, d’autre part, qu’elles ne puissent prendre elles-mêmes en charge une activité économique sans justifier d’un intérêt public ».

L’EURL Josse perd cette fois-ci, mais les personnes publiques doivent prendre la multiplication de ces contentieux comme autant d’avertissements. L’occupation du domaine public devient un enjeu économique essentiel auquel elles doivent prêter une attention accrue.

4 – Liens utiles


Retrouvez cette chronique sur le site du Village de la justice.

Plus de billets sur l’occupation du domaine public :

Benoit Fleury : Associations-Collectivités

Associations-Collectivités par Benoit Fleury


Le premier baromètre des associations et des collectivités locales, présenté en avant-première au Salon des maires et des collectivités locales, a été rendu public jeudi dernier, offrant une vue croisée intéressante entre les deux sphères.

Chiffres clés


278 associations et 299 collectivités locales ont été interrogées par l’intermédiaire d’une plateforme internet du 24 septembre au 15 octobre. Parmi elles, les associations ont en moyenne 25 ans, 20 salariés, et 1118 adhérents 2012. Les collectivités comptent en moyenne 169 associations sur leur territoire, dont 68 sont subventionnées.

« Le financement public des associations représente près de la moitié de leur budget », révèle l’enquête, réalisée conjointement par le site d’informations Associations mode d’emploi, la Gazette des communes et le Courrier des maires et des élus locaux. Ces financements proviennent en premier lieu des mairies, qui « pourvoient 19% des subventions allouées juste devant l’Etat (15%) et les régions (8%) » ; confirmant ainsi l’étude précédemment menée par Viviane Tchernonog (Le paysage associatif français, Paris, Dalloz, 2007).

39% des associations déclarent que leurs subventions baissent, mais seulement 7% des collectivités le confirment. Les relations entre les associations et les collectivités, elles, sont perçues comme étant stables en majorité (43%), et 22% notent même une amélioration. Près de 2/3 des associations estiment que les élus locaux sont sensibles à leurs problèmes.



Benoit-Fleury-GUDule-AssociationLa moitié des associations et des collectivités affirment avoir signé des conventions de subventions annuelles ou pluriannuelles, signe que la collaboration entre elles fonctionne parfaitement.

Le baromètre


mardi 4 décembre 2012

Coopération internationale par Benoit Fleury

Coopération internationale par Benoit Fleury


Le sénateur Jean-Claude Peyronnet vient de remettre un rapport particulièrement intéressant sur la coopération décentralisée menée par les collectivités territoriales, intitulé La solidarité internationale à l'échelle des territoires : état des lieux et perspectives (Sénat, rapport d’information n° 123, session ordinaire 2012-2013, 13 novembre 2012).

1 – Quelques chiffres


4.806 collectivités territoriales françaises sont impliquées dans près de 140 pays en matière de coopération décentralisée. Vingt-six régions sont ainsi impliquées dans ce domaine, plus de 80 départements sur 101, toutes les grandes villes et de très nombreuses communes de toute taille. Environ 250 intercommunalités mènent également des actions de coopération décentralisée.

Benoit-Fleury-GUDuleAu total, plus de 12.000 actions de coopération décentralisée sont menées en France.
Côté budget, l’aide publique au développement représentait 60,5 millions d’euros en 2010 et devrait représenter 65 millions en 2011 et 70 millions en 2012 et 2013. Ce budget a augmenté de 35% entre 2003 et 2009, passant de 46 millions d'euros à près de 60 millions. Et encore, ces chiffres ne prennent pas en compte les effets de levier induits par les actions des collectivités territoriales.

Les secteurs d’intervention concernés par ces actions de coopération décentralisée sont très divers, détaille le rapport : jeunesse, développement durable, achats éthiques, eau et assainissement, tourisme responsable, énergie…

2 – Sommaire


Introduction
I Soixante ans de coopération décentralisée : les faits précèdent le droit
II La coopération décentralisée : des actions multiples et diverses sur les cinq continents, témoignant du savoir-faire des collectivités territoriales.
III Répondre aux principaux enjeux de la coopération décentralisée

Retrouvez le sommaire complet ici.

lundi 3 décembre 2012

CFE : au tour des députés par Benoit Fleury

CFE : au tour des députés par Benoit Fleury


Dans un amendement au collectif budgétaire qu’elle a adopté le 28 novembre dernier, la commission des finances de l’Assemblée nationale permet aux collectivités de revenir sur les hausses de la cotisation foncière des petites entreprises. Le dispositif est le même que celui qu’ont voté les sénateurs dans le cadre du projet de loi de finances.
Benoit-Fleury-BenoitfleuryLe Sénat a voté, le 26 novembre, un amendement au projet de loi de finances pour 2013 autorisant les collectivités à réduire la cotisation foncière qu’ont à payer les petits patrons pour 2012. Cet amendement venait en réponse aux manifestations organisées dans de nombreuses villes de France dans le but de protester contre l’envolée de cette taxe. Mais le rejet par la Haute Assemblée du projet de loi fait disparaître la mesure. Si la commission mixte paritaire (députés et sénateurs) qui se réunira prochainement échoue à trouver un compromis, c’est le texte adopté par les députés qui reviendra au palais Bourbon pour une nouvelle lecture.
C’est donc en fait le projet de loi de finances rectificative, en débat en séance à l’Assemblée nationale, du 3 au 11 décembre, qui pourrait bien délivrer de leur angoisse les artisans, commerçants et professionnels libéraux.

Benoit Fleury : de nouveau Béziers ! !

Benoit Fleury : de nouveau Béziers !!


L’occasion s’est déjà présentée d’évoquer ici la fameuse jurisprudence Béziers du Conseil d’Etat et d’une manière générale la loyauté contractuelle. La Cour administrative d’appel de Nantes livre un bel exemple d’application des principes récemment dégagés par la Haute juridiction administrative et attire l’attention des partenaires des personnes publiques sur le fondement de leurs prétentions (CAA Nantes, 19 oct. 2012, n° 11NT01174, Sté APIC).

Les faits


Au cas d’espèce, la commune de Ver-sur-Mer avait confié, par convention en date du 15 juillet 1996 conclue pour une durée de 9 ans renouvelable 3 ans par tacite reconduction, à la société APIC, l’implantation et l’entretien, sur des emplacements mis gratuitement à sa disposition, de cinq mobiliers d’informations municipales et de trois abribus, en échange du droit pour la société cocontractante d’apposer de la publicité sur ceux-ci. Le 8 septembre 2003, deux nouveaux contrats d’une durée initiale de 12 ans sont intervenus dans les mêmes conditions pour un abribus et deux mobiliers d’informations municipales. Par deux nouvelles conventions du 11 février 2008, la commune a en outre accordé à la société APIC, pour la même durée et avec la même contrepartie, la gestion, respectivement, de quatre abribus et de sept mobiliers urbains d’informations municipales.

Benoit-FleuryPar un courrier du 9 février 2009, le maire de la commune a résilié l’ensemble de ces contrats au motif qu’ils ont été signés par une personne non habilitée en l’absence de délibération du conseil municipal et en violation de l’article 28 du Code des marchés publics relatif à la passation des marchés selon une procédure adaptée.
La société APIC a alors saisi la juridiction administrative d’une demande tendant à la condamnation de la commune de Ver-sur-Mer à lui verser une somme de 342.131 € en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de cette résiliation unilatérale.
Par un jugement du 22 février 2011, le tribunal administratif de Caen l’a débouté de ses prétentions. Appel a été relevé.

Décision de la Cour administrative d’appel


Dans sa décision, la Cour administrative d’appel de Nantes rappelle, dans un considérant appelé à devenir désormais classique, les enseignements des jurisprudences Béziers (CE, ass., 28 déc. 2009, n° 304802, Cne de Béziers, JurisData n° 2009-017292 ; Rec. CE 2009, p. 509, concl. E. Glaser ; JCP A 2012, comm. 2072, obs. F. Linditch ; AJDA 2010, p. 142, chron. Liéber et Botthegi) et Manoukian (CE 12 janv. 2011, n° 338551, Manoukian : JurisData n° 2011-000207 ; JCP A 2011, 2049 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 88, note J.-P. Pietri ; Dr. adm. 2011, comm. 29, note F. Brenet ; RJEP 2011, comm. 33, concl. N. Boulouis) :
« Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu’ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ».
Benoit-Fleury-LoyauteLes irrégularités de l’espèce ne justifient donc pas que le litige soit réglé sur un terrain différent de celui des contrats en cause. Dès lors, et c’est là un point particulièrement important : la société APIC ne pouvait formuler ses diverses demandes ni sur le fondement de l’enrichissement sans cause, ni sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle de la commune.

Les cocontractants de l’administration doivent donc être particulièrement attentifs aux fondements de leur demande dès lors que le principe de loyauté contractuelle pourrait leur être opposé.