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vendredi 7 décembre 2012

Benoit Fleury : principe de loyauté contractuelle

Benoit Fleury : principe de loyauté contractuelle



Une affaire récente donne l’occasion au Conseil d’Etat de faire un point sur le principe de loyauté contractuelle dont les conséquences se font progressivement jour dans la pratique des contrats publics (CE 10 oct. 2012, n° 340647, Cne de Baie-Mahault).


1 – Les faits


En 1991, la commune de Baie-Mahault a conclu, avec la société Serco (filiale de Decaux), un marché de mobilier urbain ayant pour objet la location de trois journaux électroniques d’information pour une durée de dix ans ; contrat renouvelé en 2001 et 2006 en application d’une clause de tacite reconduction d’une durée de cinq ans. La commune s’est acquittée des factures en 1992 et 1993, puis a cessé de payer. Faute de résiliation, le contrat s’est poursuivi et, en 2008, la société Serco a demandé au juge administratif la condamnation de la commune à lui verser les sommes dues au titre de l’exécution du contrat.

Benoit-Fleury-Loyaute-Conseil-GeneralLa commune de son côté invoquait les irrégularités de la passation du contrat, particulièrement l’absence de mise en concurrence alors prévue par l’article 312 du code des marchés publics en vigueur, l’absence d’avis favorable et motivé de la commission d’appels d’offres, la durée excessive du contrat et le défaut de transmission au représentant de l’Etat de la délibération autorisant le maire à signer le contrat avant ladite signature. Confirmant un jugement du tribunal administratif de Basse-Terre de 2008, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a écarté l’ensemble de ces motifs en estimant que ces irrégularités qui se rattachent à la procédure de passation ne concernent ni le contenu du contrat ni les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement. Elle a en conséquence condamné la commune a versé à la société la jolie somme rondelette de 1.187.605,41 €.

2 – Jurisprudence Béziers


La commune a formé un pourvoi. Le contentieux se place ainsi, encore une fois, sur le terrain de la loyauté contractuelle. La jurisprudence Ville de Béziers – déjà évoquée ici – pose, on s’en souvient, un principe de loyauté contractuelle suivant lequel il n’est pas possible à une des parties de se libérer de ses obligations au motif que le contrat serait affecté d’une illégalité ; précision étant apportée que le juge doit cependant écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel s’il « constate une irrégularité […] tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement » (CE, ass., 28 déc. 2009, n° 304802, Cne de Béziers, JurisData n° 2009-017292 ; Rec. CE 2009, p. 509, concl. E. Glaser ; JCP A 2012, comm. 2072, obs. F. Linditch ; AJDA 2010, p. 142, chron. Liéber et Botthegi).

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La jurisprudence postérieure devait préciser le champ d’application de ces deux exceptions ainsi énoncées, en livrer « le mode d’emploi » en quelque sorte. L’arrêt Manoukian de 2011 est notamment venu expliquer que la violation du code des marchés publics ne permet pas, en tant que telle, d’écarter le principe de loyauté contractuelle, « sans rechercher si, eu égard d’une part à la gravité de l’irrégularité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat » (CE 12 janv. 2011, n° 338551, Manoukian : JurisData n° 2011-000207 ; JCP A 2011, 2049 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 88, note J.-P. Pietri ; Dr. adm. 2011, comm. 29, note F. Brenet ; RJEP 2011, comm. 33, concl. N. Boulouis). Le même jour la Haute juridiction raisonnait de manière identique à propos de manquements aux règles de passation d’une délégation de service public (CE 12 janv. 2011, n° 332330, SYMTRU : JurisData n° 2011-000415 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 90, note J.-P. Pietri).

3 – Application par le Conseil d’Etat au cas d’espèce


Au regard de cette jurisprudence, aucun doute ne subsistait quant à la solution de l’espèce. Le Conseil d’Etat rappelle d’ailleurs les principes applicables dans un considérant très clair :
« Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu’ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard, d’une part, à la gravité de l’illégalité et, d’autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut se régler sur le fondement de ce contrat ».

Dès lors la Haute juridiction, constatant que les juges de Bordeaux n’avaient pas recherché si la gravité des irrégularités et les circonstances dans lesquelles elles avaient été commises, n’imposaient pas d’écarter le contrat pour régler el litige, casse l’arrêt sur ce point. Mais sur ce point uniquement. Pour le reste, elle maintient le jeu parfait des relations contractuelles dans la mesure où elle estime :
  - que la commune n’invoque aucun élément relatif aux circonstances particulières entourant le contrat litigieux ;
  - que la signature du contrat avant transmission au préfet de la délibération autorisant le maire à le parapher constitue bien un vice « affectant les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement », mais ne saurait pour autant « être regardé comme d’une gravité telle que le juge doive écarter le contrat ».
benoit-fleury-GUDule3  - que la commune ne démontre pas que la durée initiale du contrat prévue à dix ans serait sans rapport avec la nature des prestations. Le Conseil d’Etat fait ainsi droit aux prétentions de la société, mais seulement pour la période antérieure à 2001. Postérieurement, le juge administratif considère que les parties ne pouvaient ignorer que la clause de reconduction tacite constituait une violation manifeste des règles de la commande publique  ; ce que la société, compte tenu de son expérience, ne pouvait ignorer. Or, cette irrégularité, particulièrement grave, ne permet pas de régler le litige sur le terrain contractuel à compter du renouvellement du contrat en 2001. La faute de l’entreprise lui interdit également de se placer sur le terrain quasi-délictuel, nonobstant la faute de la commune. Elle ne peut donc prétendre qu’au remboursement des sommes utilement exposées pour la commune à compter du renouvellement. Le total s’élève tout de même à la somme de 945.493,46 €.

4 – Liens utiles


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lundi 3 décembre 2012

Benoit Fleury : de nouveau Béziers ! !

Benoit Fleury : de nouveau Béziers !!


L’occasion s’est déjà présentée d’évoquer ici la fameuse jurisprudence Béziers du Conseil d’Etat et d’une manière générale la loyauté contractuelle. La Cour administrative d’appel de Nantes livre un bel exemple d’application des principes récemment dégagés par la Haute juridiction administrative et attire l’attention des partenaires des personnes publiques sur le fondement de leurs prétentions (CAA Nantes, 19 oct. 2012, n° 11NT01174, Sté APIC).

Les faits


Au cas d’espèce, la commune de Ver-sur-Mer avait confié, par convention en date du 15 juillet 1996 conclue pour une durée de 9 ans renouvelable 3 ans par tacite reconduction, à la société APIC, l’implantation et l’entretien, sur des emplacements mis gratuitement à sa disposition, de cinq mobiliers d’informations municipales et de trois abribus, en échange du droit pour la société cocontractante d’apposer de la publicité sur ceux-ci. Le 8 septembre 2003, deux nouveaux contrats d’une durée initiale de 12 ans sont intervenus dans les mêmes conditions pour un abribus et deux mobiliers d’informations municipales. Par deux nouvelles conventions du 11 février 2008, la commune a en outre accordé à la société APIC, pour la même durée et avec la même contrepartie, la gestion, respectivement, de quatre abribus et de sept mobiliers urbains d’informations municipales.

Benoit-FleuryPar un courrier du 9 février 2009, le maire de la commune a résilié l’ensemble de ces contrats au motif qu’ils ont été signés par une personne non habilitée en l’absence de délibération du conseil municipal et en violation de l’article 28 du Code des marchés publics relatif à la passation des marchés selon une procédure adaptée.
La société APIC a alors saisi la juridiction administrative d’une demande tendant à la condamnation de la commune de Ver-sur-Mer à lui verser une somme de 342.131 € en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de cette résiliation unilatérale.
Par un jugement du 22 février 2011, le tribunal administratif de Caen l’a débouté de ses prétentions. Appel a été relevé.

Décision de la Cour administrative d’appel


Dans sa décision, la Cour administrative d’appel de Nantes rappelle, dans un considérant appelé à devenir désormais classique, les enseignements des jurisprudences Béziers (CE, ass., 28 déc. 2009, n° 304802, Cne de Béziers, JurisData n° 2009-017292 ; Rec. CE 2009, p. 509, concl. E. Glaser ; JCP A 2012, comm. 2072, obs. F. Linditch ; AJDA 2010, p. 142, chron. Liéber et Botthegi) et Manoukian (CE 12 janv. 2011, n° 338551, Manoukian : JurisData n° 2011-000207 ; JCP A 2011, 2049 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 88, note J.-P. Pietri ; Dr. adm. 2011, comm. 29, note F. Brenet ; RJEP 2011, comm. 33, concl. N. Boulouis) :
« Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu’ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ».
Benoit-Fleury-LoyauteLes irrégularités de l’espèce ne justifient donc pas que le litige soit réglé sur un terrain différent de celui des contrats en cause. Dès lors, et c’est là un point particulièrement important : la société APIC ne pouvait formuler ses diverses demandes ni sur le fondement de l’enrichissement sans cause, ni sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle de la commune.

Les cocontractants de l’administration doivent donc être particulièrement attentifs aux fondements de leur demande dès lors que le principe de loyauté contractuelle pourrait leur être opposé.

jeudi 22 novembre 2012

A propos de l'occupation du domaine public par Benoit Fleury

A propos de l’occupation du domaine public par Benoit Fleury


Le domaine public, on le sait, est de plus en plus souvent le siège d’activités économiques lucratives. Il faut relire ici la thèse du Professeur Philippe Yolka (La propriété publique. Eléments pour une théorie) pour saisir les enjeux des occupations privatives du domaine ; une matière qui, de fait, se trouve au confluent du droit administratif, du droit public des affaires et du droit communautaire… et qui occasionne un contentieux abondant. Le Conseil d’Etat a ainsi récemment été conduit à mettre en œuvre sa fameuse jurisprudence Béziers II relative à la loyauté contractuelle devant guider les relations entre les personnes publiques et leurs cocontractants (CE 11 oct. 2012, Sté France Orange, n° 351440 : JurisData n° 2012-022787 ; JCP A 2012, act. 699, obs. H. Touzeil-Divina ; AJDA 2012, p. 1931, obs. D. Poupeau).

1 – Les faits


Les faits de l’espèce objet de ce billet demeurent somme toute fort classiques. Une convention avait été signée en 2001 entre le CROUS de l’académie de Lille et France Telecom – devenue Orange France – pour permettre l’implantation d’équipements de communication électroniques sur le toit d’une des résidences universitaires de Wattignies. Une première délibération du CROUS de 2007 avait procédé à la résiliation unilatérale de ladite convention. Cette décision a été annulée par un recours en excès de pouvoir.
En conséquence, le CROUS s’est engagé sur la voie d’une résiliation contractuelle par une seconde délibération de 2009 en invoquant un motif d’ordre général : la réalisation en urgence de travaux d’étanchéité sur la terrasse du bâtiment en question. La société a derechef attaqué cette décision. Le tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande (27 mai 2010, n° 0907546), mais la Cour administrative d’appel de Douai a annulé ce premier jugement (CAA Douai, 1er juin 2011, n° 10DA00826, CROUS Académie de Lille : JurisData n° 2011-014332 ; Contrats et Marchés publ. 2011, comm. 268, obs. F. Llorens).

2 – Regulation des relations contractuelles


Benoit-Fleury-Vendee-Domaine-publicPour résoudre le litige, le Conseil d’Etat commence par s’inscrire dans la « subjectivisation totale du contentieux des relations contractuelles dont il a pris l’initiative depuis quelques années » (pour reprendre la formule du Professeur Willy Zimmer dans ses observations sous CE 28 mars 2012, n° 356209, Région Champagne-Ardennes : JurisData n° 2012-009730 : Contrats et Marchés publ. 2012, comm. 262). Par ce mouvement, le juge du contrat a vu son champ d’intervention croître considérablement, notamment avec la possibilité offerte au cocontractant de l’administration de demander l’annulation des mesures d’exécution des contrats et tout spécialement les décisions de résiliation prises par les personnes publiques (CE 21 mars 2011, n° 304806, Cne Béziers : JurisData n° 2011-004285 ; Contrats et Marchés publ. 2011, comm. 150, note J.-P. Pietri ; Dr. adm. 2011, comm. 46, obs. F. Brenet et F. Melleray. Pour une application récente, voir également CAA Bordeaux, 31 janv. 2012, n° 10BX02230, Cne Rabastens de Bigorre : JurisData n° 2012-004877 ; Contrats et Marchés publ. 2012, comm. 124, obs. J.-P. Pietri). Jusqu’à cette jurisprudence dite Bézier II le cocontractant malheureux de l’administration devait se placer sur le terrain du contentieux indemnitaire et non sur celui de l’annulation.
La Haute juridiction poursuit ici son œuvre de régulation des relations contractuelles en expliquant que
« le litige dont ont été saisis les juges du fond par la société Orange France doit être analysé non comme un recours pour excès de pouvoir ayant pour objet l’annulation de la décision par laquelle le conseil d’administration du CROUS a demandé de résilier la convention passée avec la société Orange France, mais comme un recours de plein contentieux contestant la validité de cette résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles entre cette société et le CROUS ».

Benoit-Fleury-Vendee-Domaine-public

 

3 – Conséquences du principe de loyauté contractuelle


En déplaçant ainsi le contentieux, la Haute juridiction s’ouvre deux possibilités. Après l’examen des éventuels vices entachant la régularité de la décision de l’administration ou son bien fondé, elle peut soit faire droit à la demande de la reprise des relations contractuelles en octroyant le cas échéant une indemnité à la société pour le préjudice causé par la non-exécution du contrat, soit simplement se prononcer sur une indemnité.
Cette approche autorise le Conseil d’Etat à regarder de près les clauses de la convention. Au cas d’espèce, s’il ne conteste pas au propriétaire du domaine le droit d’apprécier la nécessité de réaliser des travaux dans l’intérêt du domaine et le cas échéant de mettre fin à la convention d’occupation, il souligne une erreur de droit consistant en l’ignorance d’une clause de ladite convention au terme de laquelle le gestionnaire du domaine s’engageait, en cas de travaux indispensables, à faire tout son possible pour trouver une solution de substitution afin de permettre au preneur de continuer à exploiter ses équipements. Le fait d’avoir « oublier » cette alternative contractuellement prévue justifie la cassation de l’arrêt et le renvoi devant la Cour administrative d’appel de Douai.
Une telle solution donnera pleine satisfaction aux tenants d’un rééquilibrage entre une puissance publique aux prérogatives exorbitantes du droit commun et une sphère privée parfois mise à mal. Reste qu’elle doit attirer l’attention des juristes de l’administration sur la rédaction souvent négligée des conventions d’occupation privative du domaine public.

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