Benoit Fleury : principe de loyauté contractuelle
Une affaire récente donne l’occasion au Conseil d’Etat de faire un point sur le principe de loyauté contractuelle dont les conséquences se font progressivement jour dans la pratique des contrats publics (CE 10 oct. 2012, n° 340647, Cne de Baie-Mahault).
1 – Les faits
En 1991, la commune de Baie-Mahault a conclu, avec la société Serco (filiale de Decaux), un marché de mobilier urbain ayant pour objet la location de trois journaux électroniques d’information pour une durée de dix ans ; contrat renouvelé en 2001 et 2006 en application d’une clause de tacite reconduction d’une durée de cinq ans. La commune s’est acquittée des factures en 1992 et 1993, puis a cessé de payer. Faute de résiliation, le contrat s’est poursuivi et, en 2008, la société Serco a demandé au juge administratif la condamnation de la commune à lui verser les sommes dues au titre de l’exécution du contrat.

2 – Jurisprudence Béziers
La commune a formé un pourvoi. Le contentieux se place ainsi, encore une fois, sur le terrain de la loyauté contractuelle. La jurisprudence Ville de Béziers – déjà évoquée ici – pose, on s’en souvient, un principe de loyauté contractuelle suivant lequel il n’est pas possible à une des parties de se libérer de ses obligations au motif que le contrat serait affecté d’une illégalité ; précision étant apportée que le juge doit cependant écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel s’il « constate une irrégularité […] tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement » (CE, ass., 28 déc. 2009, n° 304802, Cne de Béziers, JurisData n° 2009-017292 ; Rec. CE 2009, p. 509, concl. E. Glaser ; JCP A 2012, comm. 2072, obs. F. Linditch ; AJDA 2010, p. 142, chron. Liéber et Botthegi).
La jurisprudence postérieure devait préciser le champ d’application de ces deux exceptions ainsi énoncées, en livrer « le mode d’emploi » en quelque sorte. L’arrêt Manoukian de 2011 est notamment venu expliquer que la violation du code des marchés publics ne permet pas, en tant que telle, d’écarter le principe de loyauté contractuelle, « sans rechercher si, eu égard d’une part à la gravité de l’irrégularité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat » (CE 12 janv. 2011, n° 338551, Manoukian : JurisData n° 2011-000207 ; JCP A 2011, 2049 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 88, note J.-P. Pietri ; Dr. adm. 2011, comm. 29, note F. Brenet ; RJEP 2011, comm. 33, concl. N. Boulouis). Le même jour la Haute juridiction raisonnait de manière identique à propos de manquements aux règles de passation d’une délégation de service public (CE 12 janv. 2011, n° 332330, SYMTRU : JurisData n° 2011-000415 ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 90, note J.-P. Pietri).
3 – Application par le Conseil d’Etat au cas d’espèce
Au regard de cette jurisprudence, aucun doute ne subsistait quant à la solution de l’espèce. Le Conseil d’Etat rappelle d’ailleurs les principes applicables dans un considérant très clair :
« Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu’ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard, d’une part, à la gravité de l’illégalité et, d’autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut se régler sur le fondement de ce contrat ».
Dès lors la Haute juridiction, constatant que les juges de Bordeaux n’avaient pas recherché si la gravité des irrégularités et les circonstances dans lesquelles elles avaient été commises, n’imposaient pas d’écarter le contrat pour régler el litige, casse l’arrêt sur ce point. Mais sur ce point uniquement. Pour le reste, elle maintient le jeu parfait des relations contractuelles dans la mesure où elle estime :

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