mardi 11 décembre 2012

Benoit Fleury : droit pénal public (concussion)

Benoit Fleury : droit pénal public (concussion)


L’occupation du domaine public soulève de nombreux problèmes et flirte avec différents pans du droit. On a récemment souligné sur ce blog le lien entre une telle occupation et le principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Après le droit public des affaires, le droit pénal public s’invite dans une situation qui intéressera au premier chef les collectivités. La chambre criminelle de la Cour de cassation vient en effet de juger que le maire d’une commune qui s’abstient de passer un acte de vente d’un terrain municipal et permet ainsi l’occupation gratuite et non autorisée par le conseil municipal de ce terrain se rend coupable du délit de concussion (Crim. 10 oct. 2012, n° 11-85.914, MM. P. et T.).

1 – Rappel


On rappellera pour mémoire deux éléments clés de nature à éclairer le cas d’espèce :

 - d’une part le délit en tant que tel, défini par l’article 432-10 du code pénal comme « le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits et contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû ». Le délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 € d’amende. Par ailleurs, « est puni des mêmes peines, le fait, pour les mêmes personnes, d’accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise de droit, contributions, impôts ou taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires ».

 - d’autre part l’onérosité de l’occupation privative du domaine public. Clairement énoncé par l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques (« toute occupation ou utilisation du domaine public […] donne lieu au paiement d’une redevance »), le principe est d’abord apparu sous une forme réglementaire (l’article 56 de l’ancien code du domaine de l’Etat) et s’est imposé en jurisprudence plutôt comme un principe de non-gratuité de l’occupation (v. par ex. CAA Marseille, 6 déc. 2004, Cne de Nice, n° 00MA01740 : Contrats et Marchés pub. 2005, 165, comm. G. Eckert).

2 – Faits


Dans notre affaire, la commune de Saint-Leu avait, par une délibération du 26 mai 2003, autorisé la vente d’une parcelle communale de 900 mètres carrés au prix de 38.000 euros, conformément à l’évaluation du service des domaines, au profit de M. Y. qui y fit édifier sa maison achevée en 2005. L’acheteur n’a cependant versé le prix de vente du terrain que le 6 décembre 2006 en sorte qu’il a bénéficié gratuitement de ce terrain pendant plus de trois années.
Pour avoir laissé se réaliser cette occupation privative gratuite du domaine public, le maire, élu en 2004 mais précédemment conseiller municipal, s’est vu poursuivre du chef de concussion.

3 – Matérialité du délit


Pour retenir la culpabilité du premier édile, la cour de cassation s’attache longuement à démontrer la matérialité des faits et l’intention frauduleuse.
Sur le premier point, les juges visent bien entendu la délibération que le maire ne pouvait ignorer en sa qualité de conseiller municipale à l’époque, mais également une attestation notariée du 30 juillet 2003 témoignant de l’échange des consentements sur la chose et le prix. Dès lors, il appartenait au maire, conformément à l’article L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales, d’exécuter les décisions du conseil municipal. L’avantage illégal procuré au bénéficiaire de la vente et la perte d’une ressource potentielle pour la commune trouvent ainsi leur origine dans les manquements du maire à ses obligations légales.
Sur le second point, la cour confirme l’arrêt de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion qui s’était appuyé, pour retenir l’intention frauduleuse, notamment sur différents témoignages et sur la proximité entre le maire et le bénéficiaire du terrain (son ancien chauffeur devenu membre de son cabinet).

La Cour conclue ainsi
« qu’entre dans les prévisions de l’article 432-10 alinéa 2 du code pénal, le fait pour un maire d’exonérer l’acquéreur et occupant d’un terrain communal du paiement du prix de ce dernier en s’abstenant volontairement de passer l’acte de vente dudit terrain, autorisé par le conseil municipal, en violation de l’article L. 21222-21 alinéa 7 du code général des collectivités territoriales ».

4 – Jurisprudence antérieure


La solution n’est pas nouvelle. La Cour de cassation a en effet déjà eu l’occasion de reconnaître coupable de concussion un maire qui avait laissé son fils garagiste exposer des véhicules à la vente sur une des places de la commune devant son garage, en le dispensant sciemment du paiement de la redevance prévue par l’article L. 2331-4 du code général des collectivités territoriales (Crim. 19 mai 1999 : Dr. pénal 2000, 100). Elle présente cependant l’immense vertu de rappeler aux élus locaux les risques qu’ils encourent en accordant trop facilement une occupation gratuite du domaine public.

Retrouvez cette chronique sur le Village de la justice.

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