samedi 1 décembre 2012

Benoit Fleury : intérêt distinct et élus

Intérêt distinct et élus par Benoit Fleury


La notion d’élus intéressés au sens de l’article L. 2131-11 du CGCT suivant lequel « sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires », soulève souvent de nombreuses questions pratiques. En témoignent par exemple les fréquentes questions parlementaires (en dernier lieu, voir la récente réponse ministérielle fait le point publiée au JO Sénat Q, 4 oct. 2012, p. 2172). Le Conseil d’Etat vient d’apporter quelques éclaircissements sur la notion d’intérêt distinct qui entraînera l’illégalité de la délibération (CE 26 oct. 2012, n° 351801, Dpt du Haut-Rhin).

Les faits


En l’espèce, le Conseil Général du Haut-Rhin avait réduit le périmètre d’une zone de préemption au titre des espaces naturels sensibles de la commune de Voegtlinshaffen à la demande de celle-ci afin de lui permettre la mise en œuvre d’un projet touristique orienté vers le vin.

Benoit-Fleury-GUD3-PoitiersLa Cour administrative d’appel de Nancy avait sanctionné la décision du Conseil Général, au motif que la délibération de la commune sollicitant la réduction devait être regardée comme irrégulière du fait de la participation du maire – viticulteur – et d’une conseillère municipale, elle-même épouse d’un viticulteur. Le juge administratif a estimé que ces derniers auraient du s’abstenir de voter (CAA Nancy, 30 juin 2011, n° 10NC01376, Association Paysages d’Alsace).

Décision du Conseil d’Etat


Le Conseil d’Etat ne partage pas ce raisonnement et livre une approche très pragmatique du litige. Conformément à sa jurisprudence Commune d’Oullins, la Haute juridiction recherche si l’intérêt supposé des conseillers se distingue des intérêts de la généralité des habitants (CE, sect., 16 déc. 1994, n° 145370, Cne d’Oullins : AJDA 1995, p. 72). C’est en ce sens qu’elle a pu considérer par exemple dans une affaire relative à l’acquisition d’un immeuble que devait être regardé comme personnellement intéressé le conseiller qui assure la gestion d’une partie des biens du vendeur dont il a été le notaire à plusieurs reprises (CE 27 juin 1997, n° 122044, M. Tassel et a.). De même est intéressé à l’affaire au sens de l’article L. 2333-11 du CGCT le conseiller, président-directeur général d’une société qui exploite un théâtre, propriété de la commune, lorsque le conseil municipal délibère sur des demandes de subventions en vue de travaux de réaménagement de la salle de théâtre (CE 23 sept. 1987, n° 65014, Ecorcheville).

Benoit-Fleury-GUD-Poitiers
En revanche, il n’y a pas « d’intérêt à l’affaire » lorsqu’il s’agit d’un intérêt attaché à la qualité d’habitant ou de contribuable de la commune, sans être distinct de l’intérêt général de la commune. Ainsi d’un maire, propriétaire d’une parcelle de terrain située dans une zone du plan d’occupation des sols dont le règlement a été modifié dans un sens favorable à la construction conformément aux vœux du conseil municipal (CE 20 janv. 1989, n° 75442, Assoc. Des amis de Chérence) ou encore d’un maire et d’un conseiller résidant dans un hameau qui pourra être raccordé au réseau d’eau potable grâce à l’adhésion de la commune à un syndicat intercommunal, au prix d’un renchérissement du coût de la distribution d’eau pour l’ensemble de la commune (CE 10 janv. 1992, n° 97476, Assoc. des usagers de l’eau de Peyreleau et a.).

Benoit-Fleury-GUDFort de ces raisonnements in concreto, le Conseil d’Etat relève ici deux éléments essentiels :

-  d’une part, le secteur viticole constitue l’activité économique essentielle de la petite commune ;

-  d’autre part la convention entre la commune et la société en charge du projet touristique prévoit une répartition équitable de l’approvisionnement en vins du complexe hôtelier.

Dès lors, les sages du Palais-royal considèrent qu’il n’y a pas intérêt particulier distinct de l’intérêt général. La Cour administrative d’appel de Nancy
« a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que la circonstance que le maire et la conseillère municipale concernée exerçaient une activité professionnelle en lien avec la viticulture, leur conférait, au regard de l’objet de la délibération litigieuse, des intérêts distincts de celui de la généralité des habitants, et qu’ils étaient par suite personnellement intéressés à cette délibération »
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Retrouvez cette chronique sur le blog du Village de la justice ou sur Legavox.

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