lundi 17 décembre 2012

Benoit Fleury : commande publique

Benoit Fleury : commande publique


La doctrine administrative est récemment revenu sur plusieurs points du droit de la commande publique.

1 – Publicité du coût du marché


Q – L’estimation du coût du marché doit-elle figurer dans les documents d’appel public à la concurrence ?


Réponse du Ministère de l’économie et des finances publiée au JO Sénat, Q. n° 02397, 6 décembre 2012, p. 2826.


« L’article 40 du code des marchés publics (CMP) précise les modalités de publicité préalable à une procédure de passation d’un marché ou d’un accord-cadre. Cette disposition a été intégralement réécrite par le décret n° 2011-1000 du 25 août 2011. Elle distingue désormais l’organisation de la publicité selon le montant estimé du besoin, dont l’évaluation incombe au pouvoir adjudicateur.

Benoit-Fleury-Conseil-General-Vendee
Pour les marchés dont le montant estimé est compris entre 90 000 € HT et les seuils de procédure formalisée définis à l’article 26 du CMP, les avis d’appel public à la concurrence sont établis selon le modèle fixé par l’arrêté du 27 août 2011 pris en application des articles 40 et 150 du CMP et fixant le modèle d’avis pour la passation des marchés publics et des accords-cadres. Ce modèle ne prévoit pas de rubrique particulière pour indiquer le montant du marché, estimé par l’acheteur public.
Aucune zone obligatoire ne contraint le pouvoir adjudicateur à préciser une telle information.
Au-dessus des seuils de procédure formalisée, les avis d’appel public à la concurrence sont établis conformément aux formulaires obligatoires établis par le règlement communautaire (CE) n° 842/2011 de la Commission du 19 août 2011 établissant les formulaires standard pour la publication d’avis dans le cadre de la passation de marchés publics.
La rubrique II.2.1 du formulaire européen d’avis de marché, intitulée « Quantité ou étendue globale », permet à l’acheteur public d’indiquer, « le cas échéant », la valeur estimée hors TVA du marché ou une fourchette estimative de son montant estimatif.
Il n’existe donc aucune obligation de préciser, dans un avis de publicité européen, le montant du besoin estimé par le pouvoir adjudicateur. Dans le cadre d’un recours contre un appel d’offres ouvert, le Conseil d’État a jugé « qu’aucune disposition du code des marchés publics ni aucune règle ne met à la charge de la personne responsable du marché une obligation de publicité quant au montant prévisionnel du marché qu’elle entend attribuer » (CE, 6 janvier 2006, Syndicat mixte de collecte, de traitement et de valorisation des déchets du Vendômois, n° 281113).
Dans la fiche technique « Comment utiliser les formulaires européens ? » mise en ligne sur la page Marchés publics du portail de l’économie et des finances, la direction des affaires juridiques des ministères économique et financier conseille aux acheteurs publics de ne pas indiquer le montant estimé hors TVA du marché. Il existe, en effet, un risque de voir les candidats aligner leurs offres sur ce montant estimatif, faussant ainsi le libre jeu de la concurrence.
Quel que soit le montant estimé du besoin, les acheteurs publics n’ont donc aucune obligation d’indiquer dans leur avis de publicité une estimation du prix des prestations attendues. Il n’existe aucune différence, sur ce point, entre les marchés dont le montant estimé est compris entre 90 000 € HT et les seuils de procédure formalisée et ceux dont ce même montant est supérieur aux seuils européens ».

2 – Information des délais et voies de recours


Q – La décision d’attribution doit-elle préciser les délais et voies de recours ouvert contre le contrat ?


Réponse du Ministère de l’économie et des finances publiée au JO Sénat, Q. n° 00667, 6 décembre, 2012, p. 2826.


« Non. L’information des candidats non retenus, à l’issue d’une procédure de passation d’un marché public, constitue une formalité essentielle d’achèvement de la procédure, tant en vertu du principe de transparence rappelé à l’article 1er du code des marchés publics, qu’au regard de ses effets sur les voies de recours ouvertes à ses destinataires. Dès que l’acheteur public a fait son choix pour l’offre économiquement la plus avantageuse, l’article 80 du code des marchés publics lui impose de notifier à tous les autres candidats le rejet de leur offre.
Dans le cadre de cette notification, doivent être indiqués au candidat non retenu : les motifs de ce rejet, le nom de l’attributaire et les motifs qui ont conduit au choix de son offre, ainsi que la durée du délai de suspension de la signature du marché que la personne publique entend respecter. Les délais et voies de recours ne font pas partie des mentions obligatoires.
Benoit-Fleury-Vendee-Universite-poitiersLa décision de rejet d’une offre constitue une décision administrative détachable du contrat. Elle peut dès lors faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Conformément au droit commun, ce délai n’est opposable qu’à la condition d’avoir été mentionné dans la notification (article R. 421-5 du code de justice administrative ; CE, 8 juin 1994, M. Mas, n° 141026).
En revanche, aucun texte ni aucun principe général du droit n’impose d’indiquer, dans la notification de la décision d’attribution, les délais et voies de recours ouverts contre la procédure ou le contrat lui-même.
Les autres voies de recours (référés précontractuel et contractuel, recours en contestation de validité du contrat) ne sont pas ouvertes contre la décision de rejet d’une offre, mais contre la procédure ou le contrat. Il n’y a donc pas lieu de les mentionner dans la lettre de notification au candidat évincé.  Ces voies et délais de recours figurent, par ailleurs, obligatoirement dans les avis de publicité (avis d’appel public à la concurrence, avis d’intention de conclure et avis d’attribution).
Le formulaire NOTI3, « notification de rejet de candidature ou d’offre », ne revêt aucun caractère obligatoire. Il s’agit d’un modèle qui peut être utilisé par l’acheteur public pour informer un candidat du rejet de son offre. Le formulaire est mis à la disposition des pouvoirs adjudicateurs par la direction des affaires juridiques, pour leur permettre de formaliser une des étapes de la procédure de passation d’un marché et se conformer à leurs obligations.
Il est recommandé à ses utilisateurs de l’adapter, pour tenir compte de l’objet et des caractéristiques de leur marché. Conformément à l’article 80-I-1° du code des marchés publics, la rubrique F du formulaire NOTI3 mentionne le délai de suspension de la signature du marché. Cette mention est obligatoire, pour permettre aux candidats évincés de former un référé précontractuel.
En mars 2012, cette rubrique a été complétée pour préciser qu’un référé précontractuel peut être exercé « contre la présente procédure de passation, devant le président du tribunal administratif, avant la signature du marché public ». Pour assurer une information exhaustive des candidats évincés, il est en effet apparu nécessaire d’indiquer tous les recours ouverts aux destinataires de la lettre de rejet jusqu’à la signature du contrat.
Le référé contractuel et le recours en contestation de validité du contrat sont ouverts après la signature du marché, à un stade qui marque le début de son exécution et clos la procédure de passation. En outre, ils sont soumis à des règles particulières concernant la computation du délai de recours contentieux et les requérants intéressés. Pour éviter toute confusion, ces deux voies de recours ne sont donc pas mentionnées dans le formulaire NOTI3 ».



vendredi 14 décembre 2012

Benoit Fleury - Décompte général

Décompte général


Les praticiens le savent : le droit de la commande publique attache une grande importance au formalisme. Une décision de la Cour administrative de Bordeaux illustre ce point en soulignant à nouveau toute l’importance du décompte général en cas de résiliation d’un marché public (CAA Bordeaux, 23 oct. 2012, n° 11BX02842, SARL SODEXI et a.).

1 – Faits et procédure


A la suite d’une procédure d’appel d’offre, la communauté intercommunale du Nord de la Réunion (CINOR) a attribué, le 2 septembre 2003, au groupement composé de la SARL SODEXI, de la SARL Antoine Perreau Architectures et de la société SOGREA, dont le mandataire était la SARL SODEXI, un marché de maîtrise d’œuvre relatif à l’aménagement du site Bocage Niagara sur le territoire de la commune de Sainte-Suzanne pour un montant d’honoraire global et forfaitaire de 564.255 € H.T. calculé sur la base d’une enveloppe prévisionnelle des travaux estimée à la somme de 6.650.000 € H.T.
L’acte d’engagement a été signé le 2 octobre 2003. La représentation de la CINOR a été confiée à la société d’économie mixte d’aménagement, de développement, d’équipement de la Réunion (SEMADER) en qualité de mandataire.
Au cours de l’exécution du marché de maîtrise d’œuvre, l’avant-projet des travaux établi par le groupement de maîtrise d’œuvre a été réalisé sur la base d’une enveloppe prévisionnelle des travaux de 17.800.000 €, au lieu des 6.650.000 € H.T. fixés par le maître d’ouvrage dans l’acte d’engagement.
Estimant que cette étude d’avant-projet avait été acceptée tacitement à partir du 30 novembre 2004, à la suite d’un avis favorable émis par un comité de pilotage lors d’une réunion le 14 octobre 2004, le groupement de maîtrise d’œuvre a demandé une réévaluation de ses honoraires sur la base de son estimation de l’enveloppe prévisionnelle des travaux dans le cadre d’un avenant au marché. En l’absence de conclusion d’un avenant, le groupement de maîtrise d’œuvre a consigné le 18 février 2005 chez un huissier de justice le dossier d’avant-projet.
A la suite d’une mise en demeure restée infructueuse de lui restituer le dossier d’avant-projet avant le 28 mars 2005 pour que le maître d’ouvrage puisse procéder à l’acceptation de celui-ci en application des articles 3.5 et 3.6 de l’acte d’engagement, la CINOR a décidé le 6 avril 2005 de résilier le marché de maîtrise d’œuvre signé le 2 octobre 2003 aux torts exclusifs du groupement.
Le 29 avril 2005, la SARL SODEXI a adressé au maître d’ouvrage un document comportant les honoraires qu’elle estimait être dus au groupement de maîtrise d’œuvre au stade de l’exécution de ses prestations, faisant apparaître un solde à payer de 63.708,82 € T.T.C. En l’absence de toute réponse du maître d’ouvrage, la SARL SODEXI et la SARL Antoine Perreau Architectures ont saisi le juge du contrat d’une demande de règlement financier du marché. Par un jugement du 30 juin 2011 (n° 0700298), le tribunal administratif de Saint-Denis a rejeté leurs requêtes. Les deux sociétés ont relevé appel de ce jugement demandant respectivement 209.090,75 € et 82.677,69 €.

2 – Des conséquences de l’absence de décompte général


Benoit-Fleury-Conseil-General-Vendee
En l’espèce, le juge administratif a estimé qu’en l’absence de décompte de résiliation, il ne pouvait régler le litige. En pratique en effet, la décision de résiliation doit être accompagnée d’un décompte de liquidation, qui récapitule les débits et crédits du titulaire du marché après inventaire contradictoire des prestations réalisées ; étant précisé que ce décompte financier ne pourra être totalement établi au moment de la décision de la résiliation prononcée aux frais et risques. En effet, dans cette hypothèse, le règlement financier du marché initial ne pourra être fait qu’après exécution complète du marché de substitution.

  1. Cahier des charges et jurisprudence antérieure


S’agissant de prestations intellectuelles (PI) comme dans notre affaire, cette situation est expressément prévue par l’article 35.4 du cahier des clauses administratives générales en vigueur à l’époque des faits (devenu l’article 34.1 du nouveau CCAG-PI). Cette disposition doit être complétée par l’article 40.1 (devenu l’article 37) qui prévoit expressément qu’en l’absence de décompte de résiliation,
Benoit-Fleury-Poitiers
« le différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l’objet, préalablement à toute instance contentieuse, d’un mémoire en réclamation de la part du titulaire du marché » et que « dans le cas où le maître de l’ouvrage n’établit pas le décompte général, il appartient à l’entrepreneur, préalablement à la saisine du juge, d’adresser au maître de l’ouvrage une mise en demeure d’y procéder ».
Le décompte général apparaît ainsi, en droit des marchés publics, le document essentiel permettant aux parties de fixer, de manière précise, le montant dû par la personne publique au titulaire du marché. Il joue un rôle pivot essentiel, puisque sans lui aucune contestation financière de l’entreprise titulaire du marché ne peut réellement aboutir. La Cour administrative d’appel de Nantes avait ainsi eu l’occasion de rappeler ce rôle fondamental du décompte général et de sa procédure de contestation, au détriment d’une société qui avait saisi le tribunal administratif avant l’intervention de ce document figeant les rapports financiers entre l’entreprise et le maître d’ouvrage. Il s’agissait certes alors d’une réclamation intervenue au cours de l’exécution d’un marché de travaux, mais la logique est similaire :
« Considérant qu’en vertu de l’article 13-44 précité du CCAG-Travaux, l’entrepreneur peut produire une réclamation devant le maître d’œuvre, dès avant la notification du décompte général ; qu’il lui incombe toutefois de reprendre ladite réclamation qui n’aurait pas fait l’objet d’un règlement définitif, dans un mémoire en réclamation qu’il est tenu de produire à la suite de la notification du décompte général, s’il n’approuve pas celui-ci ; qu’à défaut du respect par l’entrepreneur de ces stipulations, le décompte général du marché devient définitif, nonobstant l’existence d’un litige pendant devant le juge administratif » (CAA Nantes 31 déc. 2004, n° 04NT00152, SA Cnim : Contrats publics, n° 45/2005, comm. S. Guillon-Coudray).

  1. Solution d’espèce


Dans notre affaire, le juge d’appel ne raisonne pas autrement. Il relève ainsi que postérieurement au courrier adressé par la SARL SODEXI le 29 avril 2005 – qui doit être regardé comme le décompte final – le maître d’ouvrage « n’a pas arrêté ni notifié le décompte de résiliation ». En conséquence,
« confrontée à l’absence de notification d’un décompte général par le maître d’ouvrage, la SARL SODEXI , mandataire du groupement, devait s’acquitter de l’obligation de présenter un mémoire en réclamation en mettant le maître d’ouvrage en demeure d’établir un décompte général ; que faute pour le maître d’œuvre d’avoir mis en œuvre cette procédure, la SARL SODEXI et la SARL Antoine Perreau Architectures ne sont pas recevables à saisir directement le juge du contrat d’une demande de règlement financier du marché ».
 

3 – Liens utiles


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Plus d’actualité sur la commande publique :
-         Transfert de marché public ;
-         Critères d’attribution des MAPA. 


jeudi 13 décembre 2012

Benoit Fleury : emprunts obligataires

Emprunts obligataires


Face à la difficulté grandissante d’emprunter auprès des banques, un nombre croissant de collectivités cherchent à trouver des financements par le biais des emprunts obligataires : alors que ces émissions d’obligations ont représenté un peu moins de 800 millions d’euros l’an dernier, elles atteignent près de 2,4 milliards cette année. Vingt-sept émissions d’obligations ont été lancées en 2012 par les collectivités, ce qui représente un record absolu.

Benoit-Fleury-Conseil-General-GUDLes collectivités peuvent d’ailleurs se regrouper pour monter des opérations importantes. Ainsi le 19 octobre dernier, 43 collectivités et un syndicat mixte se sont alliés pour réaliser un emprunt obligataire de 610 millions d’euros, au taux de 4,3% sur dix ans. Ont participé à cet emprunt groupé, des régions, des départements, des intercommunalités et des communes, ainsi que le syndicat mixte des transports de Toulouse.

En attendant la naissance de l’agence de financement des investissements locaux, ces nouveaux modes de financement ont le vent en poupe : la Fédération nationale des travaux publics elle-même reconnaît que le lancement d’emprunts obligataires est un des éléments qui a permis au marché des travaux publics de garder la tête hors de l’eau cette année.

Les émissions obligataires des collectivités sont régies par la loi 83-1 du 3 janvier 1983, celle du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières et celle du 2 juillet 1998 portant DDOEF (dispositions diverses d’ordre économique et financier). Leur fonctionnement est expliqué en détail sur le site de la DGCL.


mercredi 12 décembre 2012

Benoit Fleury : la FNTP tire la sonnette d'alarme

La FNTP tire la sonnette d’alarme


Benoit-Fleury-VendeeLes travaux publics ne voient toujours pas le bout du tunnel. A 39,9 milliards d’euros en 2012, le chiffre d’affaires du secteur a connu un recul de 1,5% en euros constants par rapport à 2011 et le niveau d’activité est redescendu à celui d’il y a dix ans, a annoncé ce 11 décembre la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). « Après un début d’année très bas pour cause d’intempéries suivi d'une remontée au printemps et au début de l’été, on a constaté un décrochage en septembre avec de mauvaises anticipations sur la fin de l’année », analyse Patrick Bernasconi, président de la FNTP.


1 – Contrastes et déséquilibres


-                           Contrastes et déséquilibres au fil des mois : après un début d’année très bas pour cause d’intempéries, suivie d’une remontée au printemps et au début de l’été, on a constaté un décrochage en septembre avec de mauvaises anticipations sur la fin de l’année. Tout au long de 2012, les entreprises n’ont eu aucune visibilité sur leur activité, d’où un recours toujours important à l’intérim. Celui-ci a fluctué, selon les mois, entre 25 000 et 50 000 équivalents temps pleins à comparer aux 255 000 salariés permanents du secteur (soit entre 9 et 16 % de la population totale TP).

-                           Contrastes et déséquilibres entre territoires : entre le monde rural et des petits chantiers sinistré, et un monde urbain et des grands chantiers davantage préservé. Sur les dix dernières années, alors que l’activité est restée étale en moyenne sur le territoire, elle a progressé de 25 % en Ile de France et diminué du même pourcentage en Limousin.

-                           Contrastes et déséquilibres entre les clients : les investissements d’Etat périclitent, - 13%, l’investissement local est à un niveau très bas à ce point du cycle électoral : les communes ont à peine maintenu leurs investissements alors que deux ans avant les élections, les chiffres devraient être en hausse ; les départements ont continué à réduire leur demande (elle est 23% plus basse qu’en 2008) ; l’investissement privé est en baisse à -5%. A l’inverse les grands chantiers comme les programmes de rénovation des grands opérateurs (ferroviaires et d’électricité) ont été porteurs. Les LGV ont représenté quatre points d’activité, les transports en commun trois autres.

[…]
Benoit-Fleury-Conseil-General
Au final, le secteur est redescendu, en 2012, à son niveau d’activité d’il y a 10 ans. Les destructions d’emploi se sont poursuivis : 3 000 emplois ont été perdus sur l’année et 20 000 ont été détruits depuis 2007.

2 – Perspectives 2013


Face à un secteur privé qui s’enfonce dans la crise, à un Etat qui aura réduit de moitié ses crédits en 6 ans, les grands projets ne permettront pas de sauver l’année car les collectivités locales vont poursuivre le repli de leurs commandes aux entreprises de Travaux Publics.
Au final en 2013, l’activité des entreprises de Travaux Publics pourrait reculer de 2,5% en volume, à 38,9 MD€ de chiffre d’affaires.


mardi 11 décembre 2012

Benoit Fleury : droit pénal public (concussion)

Benoit Fleury : droit pénal public (concussion)


L’occupation du domaine public soulève de nombreux problèmes et flirte avec différents pans du droit. On a récemment souligné sur ce blog le lien entre une telle occupation et le principe de la liberté du commerce et de l’industrie. Après le droit public des affaires, le droit pénal public s’invite dans une situation qui intéressera au premier chef les collectivités. La chambre criminelle de la Cour de cassation vient en effet de juger que le maire d’une commune qui s’abstient de passer un acte de vente d’un terrain municipal et permet ainsi l’occupation gratuite et non autorisée par le conseil municipal de ce terrain se rend coupable du délit de concussion (Crim. 10 oct. 2012, n° 11-85.914, MM. P. et T.).

1 – Rappel


On rappellera pour mémoire deux éléments clés de nature à éclairer le cas d’espèce :

 - d’une part le délit en tant que tel, défini par l’article 432-10 du code pénal comme « le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits et contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû ». Le délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 € d’amende. Par ailleurs, « est puni des mêmes peines, le fait, pour les mêmes personnes, d’accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise de droit, contributions, impôts ou taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires ».

 - d’autre part l’onérosité de l’occupation privative du domaine public. Clairement énoncé par l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques (« toute occupation ou utilisation du domaine public […] donne lieu au paiement d’une redevance »), le principe est d’abord apparu sous une forme réglementaire (l’article 56 de l’ancien code du domaine de l’Etat) et s’est imposé en jurisprudence plutôt comme un principe de non-gratuité de l’occupation (v. par ex. CAA Marseille, 6 déc. 2004, Cne de Nice, n° 00MA01740 : Contrats et Marchés pub. 2005, 165, comm. G. Eckert).

2 – Faits


Dans notre affaire, la commune de Saint-Leu avait, par une délibération du 26 mai 2003, autorisé la vente d’une parcelle communale de 900 mètres carrés au prix de 38.000 euros, conformément à l’évaluation du service des domaines, au profit de M. Y. qui y fit édifier sa maison achevée en 2005. L’acheteur n’a cependant versé le prix de vente du terrain que le 6 décembre 2006 en sorte qu’il a bénéficié gratuitement de ce terrain pendant plus de trois années.
Pour avoir laissé se réaliser cette occupation privative gratuite du domaine public, le maire, élu en 2004 mais précédemment conseiller municipal, s’est vu poursuivre du chef de concussion.

3 – Matérialité du délit


Pour retenir la culpabilité du premier édile, la cour de cassation s’attache longuement à démontrer la matérialité des faits et l’intention frauduleuse.
Sur le premier point, les juges visent bien entendu la délibération que le maire ne pouvait ignorer en sa qualité de conseiller municipale à l’époque, mais également une attestation notariée du 30 juillet 2003 témoignant de l’échange des consentements sur la chose et le prix. Dès lors, il appartenait au maire, conformément à l’article L. 2122-21 du code général des collectivités territoriales, d’exécuter les décisions du conseil municipal. L’avantage illégal procuré au bénéficiaire de la vente et la perte d’une ressource potentielle pour la commune trouvent ainsi leur origine dans les manquements du maire à ses obligations légales.
Sur le second point, la cour confirme l’arrêt de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion qui s’était appuyé, pour retenir l’intention frauduleuse, notamment sur différents témoignages et sur la proximité entre le maire et le bénéficiaire du terrain (son ancien chauffeur devenu membre de son cabinet).

La Cour conclue ainsi
« qu’entre dans les prévisions de l’article 432-10 alinéa 2 du code pénal, le fait pour un maire d’exonérer l’acquéreur et occupant d’un terrain communal du paiement du prix de ce dernier en s’abstenant volontairement de passer l’acte de vente dudit terrain, autorisé par le conseil municipal, en violation de l’article L. 21222-21 alinéa 7 du code général des collectivités territoriales ».

4 – Jurisprudence antérieure


La solution n’est pas nouvelle. La Cour de cassation a en effet déjà eu l’occasion de reconnaître coupable de concussion un maire qui avait laissé son fils garagiste exposer des véhicules à la vente sur une des places de la commune devant son garage, en le dispensant sciemment du paiement de la redevance prévue par l’article L. 2331-4 du code général des collectivités territoriales (Crim. 19 mai 1999 : Dr. pénal 2000, 100). Elle présente cependant l’immense vertu de rappeler aux élus locaux les risques qu’ils encourent en accordant trop facilement une occupation gratuite du domaine public.

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