20 ans de loi Sapin : mon ITV pour Lexbase
Lexbase Hebdo édition publique n˚286 du 25 avril 2013
[Contrats administratifs] Questions à...
Vingt ans après, quel bilan tirer de la loi "Sapin" ? —
Questions à Benoît Fleury, agrégé des facultés de droit et
Professeur à l'Université de Poitiers
N° Le
xbase :
N6766BTR
par
Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition
publique
Née le 29 janvier 1993, la loi "Sapin" (loi n˚ 93-122, relative àla préention de la corruption et àla transparence
de la vie éonomique et des procéures publiques
N° Lexbase : L8653AGL) avait, notamment,
pour objectif d'accroître la transparence des procédures de passation des délégations de service public,
notamment par le renouvellement périodique de ces contrats impliquant une remise en concurrence des
opérateurs. L'article 40 de cette loi, aujourd'hui codifié à l'article L. 1411-2 du Code général des collectivités
territoriales (
N° Lexbase : L7650IMB), prévoit ainsi que les délégations de service public doivent être limitées
dans leur durée. L'article 75 de la loi n˚ 95-101 du 2 férier 1995, relative au renforcement de la protection
de l'environnement (
N° Lexbase : L8686AGS), a complété ces dispositions en prévoyant, sauf exceptions
très encadrées, une durée maximale de vingt ans pour les délégations de service public dans le domaine de
l'eau potable, de l'assainissement, des ordures ménagères et autres déchets. Faisant désormais partie de
la vie quotidienne des personnes publiques et des entreprises, les délégations de service public font l'objet
d'un contrôle accru de la part du juge administratif, des chambres régionales des comptes, mais aussi du
juge de la concurrence. Pour faire le point sur les évolutions de ce texte au cours de ces vingt années,
Lexbase Hebdo — édition publique a rencontré Benoît Fleury, agrégé des facultés de droit, Professeur à
l'Université de Poitiers et directeur général adjoint des services du conseil général de Vendée.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les points les plus importants de la loi de 1993 concernant la conclusion
des conventions de délégation de service public ?
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1 Lexbook généré le 25 avril 2013. Lexbook - Revues
Benoît Fleury
: D'une manière générale, et même si aucune étude objective d'ensemble ne permet d'attester de
la supériorité de la gestion privée d'un service public sur la gestion en régie, l'histoire administrative française se
distingue par une tradition d'intervention du secteur privé dans la gestion des services publics. Le recours à la gestion
déléguée est ainsi une constante de notre pays. Il a, notamment, permis, dès le XIXème siècle, la construction
de réseaux (gaz, électricité, tramways...) et a répondu aux nouveaux besoins au fil de leur apparition (collecte
des ordures ménagères, distribution d'eau potable...). Ses avantages sont connus : externalisation des charges
d'investissement puis de fonctionnement du service, possibilité de disposer d'un projet global et donc optimisé (de
la conception à l'exploitation) et souplesse du privé.
La loi "Sapin" de 1993 a profondément modernisé ce mode de gestion des services publics, notamment en limitant
la durée des contrats de délégation de service public et en instituant une procédure de publicité et de mise en
concurrence préalable à leur signature. Deux idées maîtresses prédominaient alors : assurer une plus grande
transparence et stimuler la concurrence. Que peut-on en dire vingt ans après ?
Sur le premier point, la loi Sapin et ses compléments (loi n˚ 95-127 du 8 férier 1995, relative aux marché publics et
dééations de service public
N° Lexbase : L7737GTQ, décret n˚ 95-225 du 1 mars 1995 N° Lexbase : L6494IWG)
ont incontestablement favorisé la transparence en définissant un régime juridique précis et quasi-exhaustif. En
témoigne par exemple -outre la procédure de mise en concurrence en tant que telle— l'intervention de la commission
consultative des services publics locaux et, le cas échéant celle du comité technique paritaire, et bien entendu
celles des assemblées délibérantes tant en amont, sur le principe même de la délégation de service public local,
qu'en aval, sur le choix du délégataire et sur le contrat de délégation. Il en résulte une implication forte des élus
locaux. L'obligation pour le délégataire de produire chaque année un rapport "
comportant, notamment, les comptes
retraçant la totalité des opérations afférentes à l'exécution de la délégation de service public et une analyse de
la qualité du service
", participe de cette même logique d'informations, tout comme le renforcement des contrôles
externes (transmission de la convention au préfet dans un délai de quinze jours, création d'un référé précontractuel
et d'un déféré suspensif, droit d'enquête sur pièce et sur place des magistrats des juridictions financières auprès
des entreprises délégataires...).
Sur le second point, il est difficile de répondre de manière identique pour l'ensemble des secteurs délégués. Dans
certains domaines, les praticiens constatent un manque effectif de concurrence entre les opérateurs privés, sans,
d'ailleurs, que cette situation résulte nécessairement d'agissements répréhensibles (en province, 60 % des délégations
de service public de transport n'ont qu'un seul candidat). D'autres, au contraire, illustrent les effets bénéfiques
de la mise en concurrence. Un rapport publié à la fin de l'année 2012 par l'Office national de l'eau et des milieux
aquatiques livre, ainsi, une synthèse intéressante issue de onze années d'observations de passation de délégations
de service public en matière de services d'eau et d'assainissement. Les auteurs constatent une baisse de la part
du prix de l'eau perçue par le délégataire pour les services d'eau potable, et ce, quelle que soit leur taille. La part
du prix moyen perçue par le délégataire sur une facture de 120 m³ passe ainsi de 1,036 euros/m³ avant la mise en
oeuvre de la procédure de mise en concurrence renforcée à 0,886 euros/m³ après procédure pour l'année 2008,
soit une variation de -14,5 %. L'observation est analogue pour les services d'assainissement collectif. La part du
prix moyen de l'assainissement collectif perçue par le délégataire avant et après mise en oeuvre de la procédure
baisse de 13,7 %, passant de 0,802 euros/m³ à 0,692 euros/m³ toutes tailles de services confondus.
Lexbase : Quelles sont les erreurs ou insuffisances les plus fréquentes relevées par les chambres régionales
des comptes ?
Benoît Fleury
: Devenue un outil indispensable à la plupart des collectivités pour la mise en oeuvre de services publics
variés (casino, restauration collective, transport scolaire, eau et assainissement, ouvrages à vocation culturelle
ou sportive...), la gestion déléguée devait naturellement intéresser les magistrats financiers. Et de fait, au même titre
que la commande publique, les ressources humaines ou les relations avec les associations, la gestion déléguée
est "une figure imposée" de nombreux contrôles opérés par les chambres régionales et territoriales des comptes
(CRTC), pour reprendre l'heureuse formule de Guy Duguépéroux (président de section à la Chambre régionale
des comptes du Centre). Dans certains cas extrêmes, mais heureusement de plus en plus rares, les chambres
pourront constater qu'une simple convention passée avec un partenaire privé aurait dû faire l'objet d'une délégation
de service public en bonne et due forme.
Rares, également, sont les situations dont le périmètre est mal défini, qu'il s'agisse d'un service public non délégable
par nature (les missions relevant de prérogatives de puissance publique, par exemple), d'une compétence partagée
entre différents niveaux de collectivités (hypothèse qui concerne au premier chef le bloc communal), ou encore de
la réalisation d'activités dites "accessoires" qui, si elles sont possibles, demeurent juridiquement encadrées.
Plus généralement, les remarques des CRTC porteront sur trois points principaux :
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— en premier lieu, le respect des obligations procédurales. Le travail ne diffère guère ici de l'examen de la commande
publique (régularité de la décision, respect des règles de publicité et des principes de libre accès et d'égalité
de traitement...), en tenant compte naturellement des particularités du régime de passation d'une délégation de
service public (composition et consultation de la commission
ad hoc par exemple) ;
— en deuxième lieu, l'économie générale du contrat. Cet aspect alimente nombre d'observations parce qu'il fait appel
à des mécanismes parfois complexes et, qu'en définitive, de cette économie dépendra le prix facturé à l'usagercontribuable.
Elle repose sur différents éléments. Sans entrer ici dans les détails, on rappellera simplement toute
l'attention que les collectivités délégantes doivent accorder à la durée du contrat (et par là à l'amortissement des
biens et aux dotations pour renouvellement), à la fixation des redevances pour occupation privative du domaine
public, aux éventuelles redevances d'affermage ou encore au régime des biens de retour ou de reprise. Il faut, également,
veiller à la participation du délégataire aux risques financiers, participation qui doit être effective (attention
ainsi aux clauses constitutives d'une atténuation des risques ou aux subventions d'équilibre) ;
— en dernier lieu, le contrôle exercé par les autorités délégantes. Il s'agit là très souvent d'un "maillon faible" du
dispositif. Les CRTC constatent que les collectivités n'exploitent pas suffisamment les outils dont elles disposent
(rapport du délégataire, possibilité de contrôle sur place), une situation parfois aggravée par une méconnaissance
de l'actif et des immobilisations mis à disposition du délégataire. Aussi encouragent-elles les autorités publiques à
mettre en place un contrôle de gestion plus poussé, en interne si elles disposent des compétences, ou en externe
en faisant appel à un auditeur spécialisé.
Lexbase : Qu'en est-il du contrôle du juge de la concurrence sur les délégations de service public ?
Benoît Fleury
: Mickaël Karpenschif rappelait récemment qu'à l'origine, la loi "Sapin" est étrangère au droit de la
concurrence (1) ; l'obligation de publicité instaurée par la loi de 1993 n'ayant d'autre but que de garantir l'absence
de risque de favoritisme et d'arbitraire de la part de l'autorité délégante. Dans son arrêt de Section du 26 juillet 1996
"SARL Pompes funèbres des Alpes Maritimes" (2), le Conseil d'Etat ne dit pas autre chose en soulignant que les
dispositions relatives aux ententes "
ne concernent que les accords entre entreprises [et] ne sont pas applicables à
un contrat de concession passé entre une commune et une entreprise chargée de l'exécution d'un service public
".
Le juge administratif s'impose donc comme le juge "naturel" des délégations de service public, ce qui n'exclut pas
une influence de l'Autorité de la concurrence, loin s'en faut. Deux illustrations permettent de saisir ce dernier rôle.
D'abord, les entreprises évincées n'hésitent plus à recourir au juge de la concurrence pour dénoncer des pratiques
qu'elles estiment anticoncurrentielles. Qui ne se souvient pas à cet égard de la fameuse affaire "Corsica Ferries"
(3) ? Ensuite, le travail, les méthodes et l'expertise de l'Autorité de la concurrence en matière d'offres anormalement
basses, de position dominante, d'utilisation abusive d'une infrastructure, ne sauraient laisser indifférentes les autorités
délégantes. Il y a, en quelque sorte, une complémentarité bien réelle entre les deux approches qu'il convient
certainement de renforcer.
Lexbase : Au final, assiste-t-on selon vous à un rapprochement des délégations de service public et des
marchés publics ?
Benoît Fleury
: On a pu soutenir l'idée d'un tel rapprochement, notamment après la décision du Conseil d'Etat
du 5 juin 2009 "Société Avenance-Enseignement et Santé" (4), par laquelle la Haute juridiction avait estimé qu'en
matière de restauration collective, le fait que le nombre de repas servis par an n'ait pas varié depuis sept ans et
ne soit donc pas susceptible d'évoluer dans le futur ne met à la charge du titulaire aucun risque d'exploitation. Le
contrat était donc un marché public et non une délégation de service public.
Ce sentiment peut, en outre, être renforcé par l'emprunt des outils et méthodes de la commande publique. Ainsi, le
contenu et parfois même la forme des cahiers des charges des délégations de service public sont de plus en plus
similaires aux pièces constituant un dossier de consultation des marchés publics (règlement de consultation, acte
d'engagement, cahiers des clauses techniques et administratives particulières). De même, les praticiens recourent
aux techniques qu'ils connaissent en matière de définition des critères d'attribution et de négociation. Néanmoins,
ces similitudes techniques répondent, comme pour les marchés publics, au même souci d'assurer l'effectivité des
principes d'égalité et de transparence. Elles ne suffisent pas, à mon sens, pour conclure à un rapprochement au
fond.
La délégation de service public conserve son originalité première qui tient aux deux éléments fondamentaux de sa
définition préservés et enrichis par une jurisprudence administrative abondante :
— la volonté d'une personne publique d'ériger des activités d'intérêt général en mission de service public et d'en
confier la gestion à un tiers, sous son contrôle (ce qui distingue la délégation de service public d'une simple occu-
Lexbook
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pation du domaine public, d'une concession d'outillage ou d'une concession d'aménagement) ;
— et la participation du délégataire aux aléas économiques du service qui distingue nettement la délégation de
service public d'un marché public. Si la rémunération du cocontractant est substantiellement assurée par un prix
payé par l'autorité délégante, cela signifie que celle-ci achète une prestation et que le contrat est un marché public.
(1) Mickaël Karpenschif,
Les délégations de service public et le droit de la concurrence, JCP éd. A, n˚ 9, 25 férier
2013.
(2) CE 7˚ et 10˚ s-s-r., 26 juillet 1996, n˚ 142 503, inéit au recueil Lebon (
N°Lexbase : A0241APM).
(3) CE 2˚ et 7˚ s-s-r., 13 juillet 2012, n˚ 355 616, n˚ 355 622 et n˚ 358 396, publiéau recueil Lebon (
N°Lexbase :
A8430IQB
).
(4) CE 2˚ et 7˚ s-s-r., 5 juin 2009, n˚ 298 641, mentionnéaux tables du recueil Lebon (
N°Lexbase : A7215EHP).
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4 Lexbook géééle 25 avril 2013. Lexbook - Revues