Domaine public par Benoit Fleury
Entré
en vigueur le 1er juillet 2006, le Code général de la propriété des personnes
publiques avait apporté des modifications à la définition du domaine public,
laissant en creux quelques interrogations, notamment quant à sa mise en œuvre
dans le temps.
1 - Définition
Pendant longtemps, le domaine
public a fait l’objet d’une définition jurisprudentielle qui a très largement
inspiré le législateur dans l’approche qu’il en livre depuis 2006 à l’article
L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques : « sous
réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une
personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui
appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à
un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement
indispensable à l’exécution des missions de ce service public ».
Il convient cependant de
relever une différence entre l’ancienne et la nouvelle définition : la
jurisprudence exigeait auparavant que le bien en cause soit adapté par nature
au service public ou qu’il ait fait l’objet d’un aménagement spécial.
Désormais, il doit avoir fait l’objet d’un aménagement « indispensable » à
l’exécution du service public. Cette nouvelle formulation du
critère de l’aménagement des biens vise à réduire le périmètre de la
domanialité publique (v. par ex. O. de David Beauregard-Berthier,
Droit administratif des biens, Paris, Gualino, 7ème éd., p. 53).
Elle suscite plusieurs
interrogations au premier rang desquelles figure son application dans le temps.
Le législateur ne semble pas en effet avoir précisé les modalités de mise en
œuvre dans le temps de cette nouvelle définition, alors même que les enjeux
sont importants (tour d’horizon : G. Eveillard, L’application dans le temps des
nouveaux critères de définition du domaine public : Dr. adm. 2010, étude 21).
Faut-il considérer par exemple que l’entrée en vigueur du nouveau code de la
propriété des personnes publiques emporte déclassement des dépendances du
domaine qui ne remplissent plus les critères de la domanialité ?
2 - Application dans le temps
La jurisprudence apporte
quelques précieuses réponses en refusant notamment d’appliquer rétroactivement
la nouvelle définition.
Le Tribunal des conflits se
réfère ainsi en 2007 au critère de l’aménagement spécial (et non de
l’aménagement indispensable) pour trancher un litige né en 2000 (T. confl., 22
oct. 2007, Mlle Doucedame c/ Dpt des Bouches-du-Rhône : AJDA 2008, p. 1145,
note Canedo-Paris). Le Conseil d’Etat s’est prononcé de manière identique dans
sa fameuse décision Brasserie du Théâtre à propos d’un litige également
antérieur à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions :
« Considérant qu’indépendamment de la qualification donnée par les parties à une convention par laquelle une personne publique confère à une personne privée le droit d’occuper un bien dont elle est propriétaire, l’appartenance au domaine public d’un tel bien était, avant la date d’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ; que, dès lors, en se fondant, pour juger, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif, que les locaux mis à la disposition de la SARL BRASSERIE DU THEATRE appartenaient au domaine public communal, sur les seules circonstances que ces locaux étaient situés dans l’enceinte du théâtre municipal et qu’en outre, ils avaient été mis à la disposition de cette société par un contrat expressément qualifié par les parties de convention d’occupation du domaine public, sans rechercher si ces locaux, qui n’étaient pas directement affectés à l’usage du public, devaient être regardés comme étant eux-mêmes affectés au service public culturel de la commune de Reims et spécialement aménagés à cet effet, la cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit » (CE, sect., 28 déc. 2009, Sté Brasserie du Théâtre, n° 290937 : AJDA 2010, p. 190, note Touzeau ; JCP A 2010, 2197, comm. Chamard-Heim ; BJCL 2010, 274, concl. Olléon, note Martin).
3 - Précisions récentes
Une affaire récemment soumis à
la Haute juridiction lui permet d’affiner cette position. Au cas d’espèce, la
commune de Port-Vendres avait conclu le 16 décembre 2004 un « bail » avec
l’association départementale des pupilles de l’enseignement public des
Pyrénées-Orientales, d’une durée de six ans à compter du 1er janvier 2006,
ayant pour objet l’occupation d’une maison d’habitation, en vue de l’accueil de
jeunes gens relevant de la protection judiciaire de la jeunesse dans un centre
éducatif renforcé.
Par délibération du 2 février
2011, le conseil municipal de la commune refusa de renouveler le contrat. Après
un recours gracieux, le préfet du département a déféré cette décision au
tribunal administratif de Montpellier, assorti d’une demande de suspension. Le
juge administratif lui fit bon accueil et son ordonnance fut par ailleurs
confirmée par la Cour administrative d’appel de Marseille. Saisi notamment sur
la question de la compétence juridictionnelle, le Conseil d’Etat est amené à
s’interroger sur la nature des dépendances du domaine en cause. Il en profite
pour reformuler le principe posé par son arrêt de 2009 :
« Considérant, en premier lieu, qu’avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l’appartenance au domaine public d’un bien était, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ; qu’en l’absence de toute disposition en ce sens, l’entrée en vigueur de ce code n’’a pu, par elle-même, avoir pour effet d’entrainer le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111-1 » (CE 3 oct. 2012, Cne de Port-Vendres, n° 353915 : AJDA 2012, p. 1882, obs. M.-C. de Montecler ; JCP A 2012, act. 666, obs. M. Touzeil-Divina).
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